dimanche 8 août 2010

Article du Soir les échos sur "La traversée"


Dessine-moi le h’rig
CULTURE | FOUZIA MAROUF | 5 AOÛT 2010 À 8 H 15 MIN


Gibraltar, l’île de Lampedusa, les enclaves espagnoles, les images des corps échoués de nos frères africains diffusées en boucle sur les chaînes européennes, comme un matraquage visuel, sont finalement banalisées… Le choc des corps heurte-t-il encore les cœurs et les esprits ? Difficile de répondre tant la question est sensible et divise parfois les avis. Un éclairage et peut-être une réponse qui retrace en bulles la traversée des harragas à travers la bande dess inée «La traversée dans l’enfer du h’rig» (éd. Nouiga). Signée par 18 auteurs dont Khaled Afif, Nathalie Logié Manche, Abdelaziz Mouride, Cédric Liano, Sékou Camara, Gildas Gamy, l’ouvrage qui s’adresse à la jeunesse du royaume, est chargé de véracité, principal objectif visant à retranscrire la réalité de ce sujet d’actualité. Selon Jean-François Chanson, responsable artistique de ce projet, fruit d’un travail de trois années, l’idée a germé en 2007 : «J’étais au 1er Festival de la BD d’Alger, où j’ai rencontré des dessinateurs congolais qui avaient réalisé un album collectif au sujet de l’immigration clandestine. A mon retour au Maroc, j’ai pensé aux jeunes marocains qui tentaient aussi de traverser la mer pour rejoindre l’Europe mais également aux Subsahariens, qui sont au Maroc dans l’attente d’un passage vers la même destination».
Harraga, le mot issu de l’arabe algérien, désigne ces brûleurs de vie qui bravent et défient la Méditerranée, mer qui les mènera jusqu’à leurs plus chers espoirs sur le vieux continent. C’est en tout cas ce qu’ils croient. Souvent bercés par une Europe sublimée, à l’image cependant biaisée : «Ils sont nourris d’illusions. On leur raconte des choses fausses sur la France, l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie, qu’ils idéalisent. La télévision via le satellite et les récits des MRE, qui embellissent leurs vies et ne disent pas la vérité, participent à leur envie d’exil», souligne Jean-François Chanson. 12 nouvelles, pour dire au travers des planches, l’enfer des barques, les traversées de fortune, les mensonges des passeurs peu scrupuleux, les espoirs fondés de toute une famille qui participe à financer le passage d’un membre de leurs, le retour de celui-ci tel un terrible échec…
Esquissée par de grands noms de la BD, «La traversée dans l’enfer du h’rig», s’inspire notamment de témoignages et de moments de vies rapportés. «Nous avons tous un frère, un ami qui a essayé de quitter l’Afrique. Tenter de les comprendre s’imposait. Il n’est pas facile de quitter sa famille, ses enfants, son pays. Tous les hommes ont des rêves. Certains veulent étudier, d’autres travailler ailleurs. L’histoire intitulée «Vers l’Europe», que j’ai signée avec Sekou Camara, est celle de trois amis : l’un d’entre eux est en Espagne, les deux autres sont au Maroc.
Le premier parvient à s’y installer alors que le second retourne au pays», ajoute Gildas Galmy, auteur d’origine congolaise. Son moteur ? «En tant qu’artiste, nous avons la chance de transmettre un message».
«La traversée dans l’enfer du h’rig» est d’ores et déjà distribuée dans les établissements scolaires et les librairies du Maroc. Des organismes, comme l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) et Caritas ont aidé les auteurs par l’achat au préalable d’albums, afin de les distribuer à la jeunesse marocaine. Quand la bulle remplace la plume pour rendre compte d’un sujet brûlant, le dessin est alors un médium qui restitue avec fidélité les maux de nos frères humains.